Parfois tu me surprends. Tu veux t'enfoncer davantage dans la ville. Tu aimes, dis-tu, les vieilles rues pavées qui vont comme des boyaux. À cause de la peur. Et tu mettras combien de cauchemars à la dénouer? Quelqu'un passe devant la voiture à un feu rouge. Tu reconnais la personne qui a perdu son chapeau cet après-midi. Je te dis que non. Ce n'est pas possible. À l'heure qu'il est. Mais justement. Tu insistes. L'heure n'existe pas quand tu convoques le réel. Nous pourrions nous déchirer, là, pour une ombre sur un passage. Mais notre fatigue nous sauve. Des mouches aux ailes dorées glissent sur le pare-brise. Le ciel au-delà du fleuve ne tient pas debout. Le ballon qui représente le globe terrestre a disparu. Nous rentrons. Nous sommes dans la menace du mauvais silence. Je te le dis. Notre mauvais silence. Tu souris. Tu touches ma main. Combien avons-nous inventé d'expressions comme « mauvais silence » ? Nous nous étonnons qu'elles durent encore, après tout ce que nous avons vécu. Tu crois qu'elles prennent dans la nuit un sens plus fort et la voiture est soudain indestructible puisque rien ne peut nous atteindre. Nous nous retrouvons presque sans conscience dans le jardin zébré d'hirondelles. Nous écoutons la plainte de l'herbe, le sommeil des rosiers. Tu comptes les étoiles et je les nomme. Et celle-là? Et celle-là? Combien tir en connais ? Dix mille. Tu soupires d'aise. Tu me demandes si je connais autant de noms d'oiseaux, de fleurs. Tu n'attends pas la réponse. Tu aimes quand mes mensonges embrassent l'universel.