![Dominique Fourcade](/img/nofoto.gif)
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TROIS CHOSES SUR LA COMMODE
Première chose. L'avantage de dormir seul est qu'on
peut gueuler sa détresse. Moi je ne dors pas seul, ou rare-
ment (et alorsje gueule comme on n'a pas gueulé depuis
François Villon). L'avantage de ne pas dormir seul est
que, contre elle ou dans son corps, l'on peut vérifier à
tout instant que la terre existe. Celui qui connaît quelque
chose d'autrement fondamental, qu'il se lève.
Deuxième chose. J'écoute le quintette en si mineur
de Brahms, opus 115, pour clarinette et cordes; vient
en surimpression la figure du vase Song à décor de
pivoines de la collection Rockefeller à Asia House. Ce
meiping est sans doute le plus beau de cette famille
Tz'u-chou, et s'il s'impose à cette heure, c'est que se
joue là aussi une rude partie de clarinette. Je pleure, et
il est normal que je pleure — quiconque sous l'effet
d'une pareille charge pleurerait. Mais il n'est pas facile
d'essuyer des larmes d'acier sans emporter une partie
de son visage.
Troisième chose. On peut s'exprimer par éclats
— éclats de nous dans le monde. Et, par rapport au
tout, les éclats en disent d'autant plus qu'ils peuvent
contenir le tout. En somme, le corps percutant et le
corps percuté sont un, et cela ouvre à une infinité
d'opérations poétiques. Je tiens cela de mon grand
frère, mon aîné merveilleux. Quand j'ai lu pour la pre-
mière fois de sa poésie je n'avais pas vingt ans, je n'en
croyais pas mes yeux, il m'a fallu deux pages pour com-
prendre et franchir des années-lumière. Aujourd'hui
encore, la beauté de son smash me laisse pantois. Il y a
donc une systématique de la foudre, parfaitement légi-
time, même absolument irremplaçable. Grande déchi-
reuse, illuminante entre toutes et très particulièrement
déchirante. Mais pour l'espace entre les éclats, le conti-
nuum mélodique et spacieux où ils sont — tissu vibrant
et lumineux qui les lie, assure et conditionne leur inter-
prétation avant laquelle leur existence ne commence
pas — pour être à même de percevoir cet espace il m'a
fallu attendre. Le percevoir était en même temps voir
que les vides comptaient autant que les pleins ; ne plus
jamais pouvoir ne pas le voir. Rilke et Matisse, qui en
étaient investis, ont, les tout derniers, traduit le profil
mélodique du monde, et je suis allé à eux dès que pos-
sible, à la maturité. A y regarder de près, la mélodie qui
relie une chose et une autre dans leur simultanéité
existentielle, et fait être une chose et une autre dès lors
qu'elle les relie dans la continuité fondatrice de leur
rapport — à y regarder durement cette mélodie est, en
permanence, doublée d'autres mélodies qui vont à
diverses hauteurs et sur des instruments qui n'ont pas
pour vocation de concorder. Elles prennent leur départ
séparément, et en des points différents de l'événement
sans histoire ; elles ne vont se rejoindre nulle part, ni ne
s'arrêtent ensemble. Elles ne se relaient pas précisé-
ment, clairement elles dissonent, on ne sait ce que
durera leur contact, mais il semble qu'une nécessité
inouïe le détermine. L'existence de toute réalité leur
est suspendue. Et elles, les mélodies, disjointes ou non,
forces internes de la mélodie, ne tiennent qu'au destin
de l'être-parole du monde. Monde comme monde,
cela veut être dit, c'est la fondamentale violence mélo-
dique — elles sont là, sans préméditation ni complices,
les unes sur les autres, les unes dans les autres.
Quatrième chose sur la commode et partout ailleurs
dans la maison et hors de la maison.
O monde de grès
Va la mélodie sous une couverte transparente
Découpant l'engobe noir sur engobe blanc avec un
naturel dont rien ne nous avait été dit dans l'enfance
file la mélodie découpant l'existence de la chose-
monde
Pivoines du plus haut épanouissement pivoines du fré-
missant épouses de 1'
Une et le corps mélodique du vase et la couverte et le
monde enfin dit seule même forme
Incassablement belle
Jamais de ta semence
La mélodie
Tubulaire et laquée
Savaient cette mélodie l'épervier sous la grêle l'éper-
vier et la grêle se battaient au point fixe et permu-
taient sous les morsures sachant la mélodie
Comme les tigres savent
Mâle et femelle
L'être simultanément
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