Charles DOBZYNSKI :: Біографія
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Критика
La poésie, depuis toujours, du simple fait de son existence, est l'objet et le moteur d'une remise en question. Elle est l'âtre où se tisonne l'être comme une braise incessante. Elle se retourne cent fois sur le lit de Procuste du langage. On attend d'elle tout un faisceau de réponses, mais ses réponses sont plutôt des étincelles à mettre le feu aux poudres de l'imagination que des salves contrôlées d'avenir.
Est-ce la poésie qui se meurt ou un certain type de civilisation qui ne l'admet qu'en marge, car elle est peu ou prou sa mauvaise conscience et son révélateur. Cette civilisation soumise à la marchandisation de toute chose ne supporte pas cet objet peu rentable et rebelle au règne de l'argent. La poésie est un miroir qui gêne, fausse les cartes de la bien-pensance, un miroir qui accuse sa difformité et ses faux-semblants.
On assiste sans trop réagir au naufrage d'un Titanic: la culture. Ou du moins de sa conception réductrice. Naufrage des grands mots qui ne sont plus que des hublots et des valeurs privées de canots de sauvetage.
Des dogmes meurtriers, des utopies avortées, des principes édulcorés participent à l'engloutissement. La poésie, en vérité, ne saurait être vouée à l'uniformisation médiatisée, à la médiocratie informatisée et infantilisante. La poésie n'a de racine et de résonance que par la résistance de l'individualité et de véritable enjeu que la recherche d'un sens et d'une vérité qu'elle contribue à patiemment élaborer, dans son dialogue avec l'invisible qu'elle parvient à rendre communicable comme une encre sympathique.
Face aux bouleversements de la communication qui la sollicitent - l'internet et ses usages ludiques, inventifs d'un nouveau rapport entre les individus — la poésie a peut-être tendance à chercher asile et protection dans ce qu'elle croit être son domaine privé, ses certitudes, son innocence supposée, sa vertu outragée, son maquillage de pute respectueuse des apparences. Contre la pollution croissante du langage, la poésie serait-elle alors l'ultime bastion, peut-être le fort Chabrol de la vocation dont elle s'estime investie ?
Ce que la poésie oppose au monde tel qu'il est ou tel qu'il advient, ce n'est pas la cuirasse d'une sauvegarde frileuse et d'une autarcie dérisoire. Ce ne peut être que la volonté irréductible de s'en tenir, non pas à son épargne, patrimoniale, mais à la source des énergies créatrices du langage, celles qui sont capables de requalifier l'homme.
Pour ma part, si je devais investir dans la poésie, non pas une espérance mais une foi, je dirais que ma religion n'est pas faite, que c'est une religion qui reste à faire. Une religion qui n'aurait d'autre règle que l'invention perpétuelle de ses propres virtualités. Cette foi sans la poésie exclut toute vérité révélée, toute vérité préétablie. Le paradoxe de la poésie, c'est qu'elle n'est pas digne de foi, puisqu'elle se sert des mots comme de masques. Et en même temps toute poésie est l'art d'arracher aux mots leurs masques, leurs défroques, leurs secrets.
La charge d'énergie des mots, il s'agit de la délivrer, de la diriger. C'est en nous que se poursuit leur fission. Leur fiction. D'où naît sans doute l'écriture, notre retombée, le papillon de notre chrysalide. Notre passage du miroir, cette traversée où l'homme apprend peut-être ce qu'il est et décèle ce qu'il devient.
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