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Petit enfant en chemise, pleurnichant sur une chaise
Petit enfant en chemise, pleurnichant sur une chaise
de fer, avalant, reniflant, avec sa bouche toute blanche
de bouillie, taquiné par le frère aîné qui mord à belles
dents au plus épais d'une tartine.
La pelisse paternelle, son pelage bourru contre le
nez retroussé, son parfum fauve et délicat, sa teinte
rouille plus rutilante que la robe en peluche râpée du
compagnon de jeu et de Ut.
Soumis au gouvernement humiliant des servantes
courbées à l'ouvrage autour du baquet à lessive qu'elles
ont sorti sur le pré, dévêtu sans ménagement, soulevé
de terre, étalé tout bouillant dans sa colère, le crâne
casqué d'eau savonneuse qui lui pique les prunelles de
son aigre venin, poings aux joues, pieds au ciel où
flambe dans la vapeur le soleil comme une rose.
La terreur qui remonte de son ombre profilée sur la
tenture le chasse tout vêtu vers le lit-cage qu'il escalade
d'un bond pour s'y raidir après trois signes de croix, les
yeux grands ouverts comme un mort dans ses draps.
Oreilles rouges, culotte de velours bâillant sur la
pâleur des genoux, on le conduit par la main jusqu'au
salon où les dames pomponnées s'étranglent de rire et
de thé tandis que leurs doux doigts chatouilleurs le
font niaisement se tortiller.
Guindée dans son corsage et ses jupes, la viei"
demoiselle aux cheveux de froment, au visage ari
comme un livre, l'œil sermonneur sous un pince-n
violet. Vocabulaire en main, lentement on se met
route. Deux pas en avant, un pas en arrière. Très lafc
rieusement on se fraye un chemin dans les broussaill
du premier savoir pour déboucher au prix de bien d
pleurs sur un jardin dessiné avec un art si parfait qi
quiconque y accède est tenu d'en respecter l'ordo
nance séculaire.
Petit voleur de poires, pour se déchagriner d'un
tement sans honneur, jouant avec le chien dans la re
serre et lui parlant tout bas à l'oreille retournée comr
un gant.
Cavalcade de gamins court vêtus, hotte au dos, culottes
retroussées sur des jambes terreuses, journaliers béné-
voles ou d'occasion pour quelques sous, fiers comme
des princes du sang escortant un équipage royal. Coups
sourds des barriques charroyées à travers champs jus-
qu'au vantail béant du cellier taillé en pente douce da
le roc, pareil à la cale d'un bateau où fume la fange
vineuse sous la meule des pieds déchaussés. Les plus
agiles juchés sur la gigantesque margelle de bois savou-
rent le spectacle sphérique de ces travailleurs des
ténèbres dtubant épaule contre épaule à la lueur orange
d'une lampe tempête.
Le soir venu, une odeur forte et douce enrichit les
visages d'une gaieté divine. On entonne sous la voûte des
refrains scabreux. C'est l'heure de rameuter les enfants
étourdis de sommeil qui renâclent pour la forme.
Le vent sur la plus haute ligne des marées où roulent
comme des dragées les galets gris tigrés de mauve, le
vent souverain, sa froide saveur, son souffle fougueux
qui vivifie jusqu'à l'os du crâne et des genoux l'enfant
à l'écart séduit par les charmes de la mer.
Grimpant à l'arbre pavoisé de fruits, enfourchant
les branches jusqu'au nid, fanfaronnant pour tomber
comme une pomme véreuse aux pieds de la fdle de
ferme qui rit aux éclats.
Sur la plus haute marche du perron, jeune chat pelo-
tonné dans l'étreinte des genoux maternels embaumés
de chypre. Elle toujours si rieuse et active, chercheuse
de morilles aux bordures des chemins, chasseuse de
vipères dans les bois interdits aux enfants, qui sait par
des chansons égayer le chagrin et d'une tendre caresse
désarmer les bouderies, dure à elle-même sans ostenta-
tion, aimant les tâches domestiques, les fourrures et les
fêtes, elle si grande ouverte à la vie, mais ferme et clair-
voyante, mais sensible comme un oiseau : certains soirs,
l'enfant bordé au lit la voit si belle qu'il ne peut plus
fermer les yeux.
Loin des autres qui jouent dans la nuit, mêlant leurs
rires à la fièvre de l'après-dîner, accroupi dans la cha-
leur secrète des bois, à écouter le discours d'un oiseau
au plumage d'argent, son vif message chiffré, son appel
étrange vers les fonds sans écho.
Claustré au lit, front en nage, tempes battantes, il
s'éveille par à-coups sous la lueur sulfureuse de la lampe
pour étouffer sa frayeur entre les draps qui enflent,
enflent à toute allure comme échappant à la prise des
poings agrippés. La cheminée de marbre déplace son
ventre pansu et béant sur les lattes du plancher où des
pas résonnent militairement, les chaises étirent des pattes
velues, le plafond oscille et se déboîte, ramages et passe-
menteries vénéneuses se contorsionnent sur les rideaux
d'andrinople à demi drés. Dans le hublot du miroir, un
vieillard chauve au teint crayeux le perce à jour de son
regard oblique avec un mauvais rire. Une araignée
géante se balance sur son fil au branle du halètement.
Partout l'insécurité, la menace, l'épouvante tant qu'in-
fusions et cachets n'auront pas déjoué le maléfice de la
vision fébrile.
Dressé sur la pointe des pieds au cœur du laurier
dont il écarte le feuillage pour jeter de vilaines gri-
maces à la petite voisine en visite qui, pendue au bras
de sa mère, mordille nerveusement ses tresses en fei-
gnant de ne rien voir que les roses admirées pour leur
carnation et leur arôme sans égal comme il sied à des
hôtes bien élevés.
Toutes ces grandes personnes parlent sans répit et si
fort qu'il se retire loin de leurs voix dans sa fable inté-
rieure.
Que le lit se referme délicatement sur le corps
fourbu avec la main familière le long des joues qui
invite au sommeil, et c'est encore le bien pur de l'en-
fance — c'est son ciel paisible à peine troublé par la
violence des larmes que transforme en sourire cette
main protectrice dont la tache rose se garde comme un
trésor au fond des paupières.
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