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Òâîð÷³ñòü |
Á³îãðàô³ÿ |
Êðèòèêà
À CE QUI N'EN FINIT PAS (extrait)
C'est la première fois que je te quitte sans que tu sois
là. Je n'entendrai plus ta voix cicatrisée depuis tant
d'années, couvrant mal sa blessure d'il y a beaucoup
plus d'années, la voix quand je téléphonais de loin et
que pour toi c'était fini pour toujours pour quelques
jours, qui disait l'injustice et l'abandon contre toute
vraisemblance puisque peu de jours après le cours de
l'autre injustice, la quotidienne, reprenait, ta voix sans
raisons, et tu avais raison tant d'années à l'avance puis-
qu'à la fin tu serais abandonnée, tu auras été abandon-
née, tu le savais, ta voix asphyxiée par l'absence et
l'insensée distance, et la normale, la raisonnable la
nécessaire et l'insensée séparation, ton être asséché par
la soudaine, évidente, foudroyante fatalité, le manque
d'être, le défaut de ce qui avait été promis, le manque
à être ensemble, le cruel défaut infligé, l'inflexion victi-
maire, ton être infecté de preuves
et à la place de l'unisson la réciproque, l'instantanée,
la brutale blessure au téléphone, comme dans un assaut
de bretteurs vulnérables, touchés, touchés en même
temps par la pointe émoussée de l'autre pour la mil-
lième fois « ô fureur des cœurs mûrs par l'amour ulcé-
rés»
c'est la première fois que je te quitte sans que tu sois là
pour souffrir, et au lieu d'en recevoir au moins un allé-
gement de peine, de ne plus au moins te faire souffrir,
c'est mon abandon, celui que je désirais, citant l'amour
taciturne et toujours menacé, qui tord l'éponge du
ventre et me change en pleureur, comme si le voyage
aggravé tant d'années par ces mauvaises condidons,
cette contagion de torts réciproques, y avait trouvé son
régime de mélancolie, sa tonalité d'échec inévitable, de
quoi se nourrir et céder sans regrets à son interruption.
Je me réveille sur la lagune équatoriale, bien avant
leur aube, comme d'habitude, et c'est pour l'anniver-
saire et son alarme, il y a un mois mourait ma femme,
je ne peux dire tu mourais, d'un tu affolant, sans desti-
nataire, et je dis bien «mourait», non pas dépérissait
ou lisait ou voyageait ou dormait ou riait, mais « mou-
rait», comme si c'était un verbe, comme s'il y avait un
sujet à ce verbe parmi d'autres.
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