Ïðî÷èòàíèé : 176
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Òâîð÷³ñòü |
Á³îãðàô³ÿ |
Êðèòèêà
DAHUT (extraits)
Parce qu'ils n'ont pas compris que la vie est ce lourd
sac de cailloux à faire passer de l'autre côté de la mon-
tagne,
parce qu'ils n'ont pas compris que la vie est le com-
bat du blaireau dans l'argile compacte,
parce qu'ils n'ont pas compris que la vie n'est pas
l'économie des sens et des actes en pays tempéré,
ils gagnent à mourir. J'ouvrirai les vannes comme on
s'ouvre les veines,
hommes, femmes et enfants imploreront le vent
d'Est et renieront les dieux,
en vain, Is disparaîtra, la cité des murailles ne sera
qu'un lavoir rempli d'eau savonneuse.
De toutes les créatures d'Is, je préfère les insectes.
A plat ventre sur la terrasse je les observe en plissant
les yeux,
et je les découpe finement de mes ongles ovales. Il y
a les anneaux de l'abdomen, les antennes, les mandi-
bules, les yeux à facettes,
et il y a le sexe,
épine minuscule à peine détectable.
Je préfère les insectes à cause de leur sexe, non pas
cette fleur flasque, cette longue chose émodve,
ce ridicule légume entre les jambes,
mais la brièveté indispensable à la conduite du
temps, à la conquête de l'espace.
Je préfère l'insecte au sexe bref qui va droit à l'es-
sendel.
L'océan se hausse millimètre par millimètre, pressant
de l'épaule et de la cuisse le diaphragme des écluses,
j'observe la place, le ciel, les terres vagues, les cor-
beaux et les mouettes qui se querellent pour un mor-
ceau de pain,
et j'imagine la brèche, le coup d'eau par la déchi-
rure, le dégueulis verdâtre effaçant toute peine et toute
illusion.
Is est une cuve où grandit une couvée déjeunes gens
splendides,
une cuve tenaillée par l'océan congesdonné et les
champs de silence.
J'observe la complicité superficielle de l'eau et du
vent et j'entonne à mi-voix le chant des profondeurs,
moi, Dahut la débauchée, qui la nuit venue bois mes
amants comme on boit l'eau de la mer.
On me traite de fille publique, et les vertueux citoyens
le soir
à travers les murs de leur vertu m'écoutent gémir de
plaisir, et quelques femmes en préparant la soupe
parlent de me raser la tête.
Ils ne savent pas que le long des cours d'eau, bardés
de fer et prêchant la loi, s'approchent les envahisseurs.
Je vois le peuple d'Is uni à leur loi, et comme un
bouillon d'étourneaux ravageurs
je vois s'abattre sur mon pays langue, tribunaux,
impôts, religion, bigoterie, bêdse, reniement de soi,
je vois l'île des Druides livrée aux pirates et aux
pillards, je vois les fenêtres de la mer voler en éclats !
Préférant le soleil de la mort subite à l'abjecdon de la
mort lente,
j'attaquerai les portes à coups de hache, je décide de
notre suicide collectif.
Je les ai décortiqués de la bouche et n'ai rien trouvé,
pas même le silence,
je me suis accouplée à tous les hommes et n'ai trouvé
que tiédeur et dégoût.
Seule la mer, la mer mobile au souffle de bête arrê-
tée
arrête mes désirs,
l'eau verte aux muscles lisses
qui dresse les seins et polit le clitoris.
Mon amour n'est pas contre nature,
mon amour dégoutte d'un lait frais au sortir du bain,
et sur le sable, au pied des collines qui traînent bas
sur la mer,
je célèbre la combustion lente de l'eau et du feu.
Il n'y a ni hiver ni été à Is. La folie des enfants les
soirs de tempête
les pousse à hurler des hymnes et des chants obscènes
sur le môle déserté par les goélands et les phoques.
J'aime les enfants d'Is, assis sur les pieux qui ceintu-
rent la ville,
qui se battent à coups de bâton et rient aux larmes
en se lançant des boules de crottin.
Ainsi, de tempête en tempête et en soleil vert, nous
nous acheminons vers le sacrifice.
Quand je promène les visiteurs, attirés par les mille
glaives des églises,
ils ne comprennent pas que cette ville dans le trem-
blement de l'eau
n'existe pas.
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