J'ai appris à lire et à écrire
pour mon malheur
Que disait le texte
gribouillé dans la langue oubliée
maudite ?
Seul l'évadé pourra le déchiffrer
Tends-moi la main ô mon frère proscrit
Je n'ai pas ton courage
car j'ai encore peur pour les miens
J'ai peur de ne trouver auprès de toi
qu'un paysage minéral
sans la caresse de l'amie
ni la fille prodigue du raisin
J'ai du mal à quitter
ce qui me fait mal
et me dresse contre le mal
Frère
tends-moi la main
non pour m'attirer à toi
avec ta violence légendaire
mais pour m'offrir la clé
dont tu n'as que faire
Toi
tu es libre maintenant
Dégagé de la connaissance
et du sens
De la lutte
et de la représentation
De la vérité
et de l'erreur
De la justice des hommes et des dieux
Dégagé même de l'amour
et de la ménagerie des désirs
Tu manges peu
et bois à peine
Tu ne redoutes plus les yeux inquisiteurs
L'apaisement t'indiffère
Tu n'attends plus du soir
le supplément d'âme de sa musique
et de l'aurore
ses promesses rarement tenues
Ta couche
c'est là où te surprend le rêve
où tu te meus avec des ailes ou sans
Un coin frais
derrière une porte
sur un banc
tout lieu est le lieu
où viennent s'offrir à toi les prémonitions
d'une vie
que l'on n'a pas besoin de vivre
pour en être rempli
Qui aurait l'idée de t'enseigner
de te convaincre
toi qui as cessé de vouloir convaincre
et ne parles
que pour les reptiles facétieux de ta tête
Qui pourrait t'en vouloir
toi qui as renoncé à tout?